Histoire de la neurochirurgie algérienne |
par Pr. I. Galli |
Juillet 1962 : C’est l’indépendance de l’Algérie : Tous les secteurs de la vie économique, sociale, culturelle sont affectés. Le secteur de la santé ne fait pas exception. Médecins, professeurs d’Universités, personnels paramédicaux en majorité français quittent le pays. Fin 1962 Le Ministère de la santé envoie des appels à toutes les universités étrangères pour recruter des spécialistes.
Nous serons rejoints un peu plus tard par le Dr Boussalah et le Dr Boutmène. Les lieux : Pendant quelques mois (début 1963) : le service d’orthopédie nous prêtera quelques lits et nous confiera les clefs du bloc opératoire, le soir après la fin du programme orthopédique quotidien. On opérait la nuit et on se régalait des somptueux levers de soleil sur la baie d’Alger : C’était notre récompense. Nous discutions sans fin de la nouvelle neurochirurgie algérienne : notre bel optimisme fut souvent mis à rude épreuve. Notre première victoire fut d’obtenir un service indépendant : ce fut l’aile droite du pavillon ORL de l’hôpital Mustapha. Ce fut dur ! Le bloc avait été plastiqué par l’OAS. L’équipement inexistant. Il a fallu être à la fois, chirurgiens, réanimateurs, diététiciens, éducateurs (le personnel paramédical n’avait pas la formation adéquate !) mais aussi bricoleurs, maçons et peintres. Par contre le nombre de malades s’accroît rapidement. Sous cette poussée le ministère de la santé décide d’attribuer aux spécialités neurologiques une autre structure. Ce sera l’ancien hôpital de la Croix rouge qui devient l’hôpital Ali Ait Idir. Nous sommes au début de 1964. L’équipe se divise : Le Pr. De Rougemont, les Dr Abada et Barge s’installent dans le nouvel hôpital. Le Dr Boussalah (qui prépare une thèse sur le nerf artificiel) les rejoindra plus tard. Ils prennent en charge la chirurgie froide. Le Pr. Giovine, le Dr Abdelmoumen et moi-même et plus tard le Dr Boutmène restons à l’hôpital Mustapha, nous réservant plus particulièrement la traumatologie cranio-encéphalique et spinale. Ainsi le service reste proche des services impliqués dans le traitement des polytraumatisés. Les Moyens : Au départ : le néant Puis vinrent les instruments de gynécologie, d’ophtalmologie, les bistouris «lance flamme» et les aspirateurs « cycloniques ». Toutefois, à l’hôpital Ali Ait Idir, en décembre 1964 venait d’ouvrir un service moderne de neuroradiologie dirigé par le Dr Rahmouni et le Dr Hermouche. Dans ce service se pratiquait des angiographies de grande qualité (vertebralographie notamment, examen encore rarement pratiqué en Europe). L’activité clinique et opératoire dans les deux services est très intense mais l’activité scientifique n’est pas négligée. Ainsi dès Avril 1965 à la réunion des Sociétés de médecine et de chirurgie à Constantine notre équipe présente un travail rédigé par le Dr Abdelmoumen sur une classification des troubles de la conscience chez le traumatisé crânien. Il était à l’époque un outil simple, basé sur des données neurophysiologiques, qui permettaient une évaluation rapide de l’état de conscience du neurotraumatisé et une compréhension tout aussi rapide entre tous les membres de l’équipe (neurochirurgiens, réanimateurs, anesthésistes mais aussi infirmiers voire aides-soignants). Cette classification de l’état de conscience testée sur des milliers de traumatisés cranio-encéphaliques a été abandonnée dans les années 70 pour laisser place à la "Glasgow-scale" plus précise mais combien complexe. En 1965 la neurochirurgie algérienne sort de ses frontières et est présentée aux «journées Maghrébines» de Casablanca puis au 3° Congrès international de Copenhague. 1966 fut l’année d’importants changements pour la neurochirurgie ; Le départ des neurochirurgiens français entraîne des modifications dans les équipes en place. Le Dr Abada et moi allons à Ali Ait Idir. Le Dr Boussalah et le Dr Boutmène s’installent à Mustapha. Le Dr Abdelmoumen emprisonné début 1965 et libéré en Juin, a quitté l’hôpital. Il est admis dans l’équipe de neurophysiologie du professeur Abbe-Fessart à Paris. Toujours en 1969 Le Dr Abada devient professeur agrégé, prend la direction du service de neurochirurgie de l’hôpital Mustapha : je deviens son assistant. Le Dr Boussalah dirige le service d’Ali ait Idir. En 1972, à mon tour je passe l’agrégation et en 1973 le Pr. Boudjelab, ministre de la santé me nomme chef de service de la neurochirurgie de l’hôpital Ali Ait Idir. Le Dr Boussalah part à Rennes pour un long stage. Une troisième structure est née : le service de neurochirurgie de l’Hôpital militaire (d’abord à l’hôpital Maillot puis à l’hôpital central Ain Naadja nouvellement construit) Il est dirigé par le Pr. Askar qui lui, revient d’un long séjour à Rennes. Je viens de vous citer l’ossature de la Neurochirurgie Algérienne mais je ne voudrais pas passer sous silence le passage d’individualités importantes venues des quatre coins de la planète. Le Professeur Federov, chef de service de l’institut Burdenko à Moscou, habile chirurgien vasculaire, il nous a donné de précieux conseils pour le traitement des malformations vasculaires cérébrales. Le Dr Bekier polonais, le Dr Kourtchev bulgare, le Dr Ramani iranien, Les Dr Vladimir et Vinichtouk russes, furent des collaborateurs efficaces. Leur collaboration nous a permis une activité scientifique et la possibilité de nous consacrer à l’encadrement de la jeune génération. Je suis particulièrement fier d’avoir eu comme disciples à Alger les Pr. Trémolet, Lehmann, Cheroussel et Perragut dont la réputation internationale n’est plus à faire. Le premier de nos élèves fut le Dr Ouahes qui termine ses études dans les anciennes structures universitaires. La nouvelle formule du Résidanat permet à d’autres plus nombreux de s’engager dans la spécialité. Il y eut d’abord les Dr Bouali, Dekkiche et Djennas et tout de suite après s’avançaient en groupe serré de nouveaux candidats : ils affrontaient les dures lois de l’apprentissage et nous les professeurs (Abada, Boussalah et moi) le « triumvirat » comme nous étions désignés, le difficile équilibre entre sévérité et équité. Mais dans les années 80 les 1ers assistants deviennent à leur tour des formateurs qui vont petit à petit mettre en place d’autres services. Il y a un autre aspect de la neurochirurgie algérienne qu’il ne faut pas oublier. Jusqu’ici nous avons considéré le point de départ de la neurochirurgie : Alger. Mais d’autres centres de formation prennent naissance parfois avec des neurochirurgiens venus d’horizons différents ; ceux-ci, avec encore plus de difficultés que nous vont conquérir une place honorable dans la spécialité. Au départ, Ils n’avaient que peu de rapport avec l’école d’Alger mais grâce à la création de sociétés savantes, aux journées d’études nationales, à la participation aux congrès nationaux et internationaux ainsi que les rapports personnels, leur isolement va s’atténuer, et rapprocher les neurochirurgiens dans un but commun : relever le défi d’une pratique moderne de la spécialité que « les pionniers » n’avait pas toujours su ou pu leur donner. J’aimerais pouvoir les citer tous : ceux et celles qui ont la responsabilité d’un service, ceux et celles qui ont choisi l’activité privée. Classer est difficile et souvent injuste. La première vague : les professeurs Djennas, Abdennebi, Ioualalene, Boutlélis, Bouyoucef, Azzal, Benbouzid, Gherbas, ne peuvent être séparés des Docteurs Messerer, Kadir, Hamdi ou différencier des Dr Amzar, Iguertzira, Sidi Saïd, Hadj Boussad, Yacoubi, Sabrou, Barbara, Hadji et aussi Dr Lalam, Bouada, Benrezkallah. Mais aussi Benaissa, Hammoudi, Abdelbaki. Il ne faut pas oublier les expatriés : Ouahas, Bouali, Hamlat, Chabane, Bendib, Hattou. En guise de conclusion : Que sont devenus ceux que j’ai appelé le « triumvirat » ? Le Pr. Abada quitte son service fin 1990 pour une activité privée : actuellement il jouit de sa retraite sur une colline d’Alger. (Posté le 28 octobre 2014) |