L’évolution De L’Urologie Au Maghreb

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L’évolution de l’Urologie au Maghreb

Constantine 16-17 octobre 2010

Pr. Saadeddine Zmerli

Pr. Saadeddine Zmerli

Pour avoir une idée de la place de l’urologie par le passé, je rappellerai deux dates révélatrices de l’histoire de l’Urologie.
1731, lors de la fondation de l’Académie Royale de Chirurgie considérée comme le début de l’ère moderne de la chirurgie français, la taille vésicale était l’opération la plus sophistiquée et la plus dangereuse. Son succès était lié à l’habilité du chirurgien et c’est elle qui consacrait sa renommée.
1890 Félix Guyon, l’un des chirurgiens les plus éminents de l’époque, secrétaire général puis président de l’Académie nationale de chirurgie, institua la chaire de clinique des maladies des voies urinaires qu’il dirigea jusqu’en 1903. L’urologie devint ainsi la première spécialité chirurgicale. Depuis, elle n’a cessé de s’enrichir et de se transformer.

A l’aube de l’indépendance des trois pays maghrébins l’urologie était le fait de généralistes et de quelques urologues exerçant dans des services de chirurgie générale.
Au Maghreb, le seul service d'urologie, en 1962, était le pavillon Sabadini de l’hôpital Mustapha d’Alger que j’allais diriger pendant dix ans jusqu’en 1973 en laissant en place une équipe d’urologues confirmés.

Au Maroc, c’est en 1967 que le premier service d’urologie est créé à Rabat dirigé par Abdellatif Benchekroun.
En 1973 en rentrant à Tunis j’ai eu le privilège de prendre en charge le premier service universitaire d’urologie à l’hôpital Charles Nicolle dont la construction avait été décidée quelques années auparavant par le Président Bourguiba pour m’en confier la direction.

L’urologie a trouvé à la fin des années 70 son individualité. Un résidanat de quatre ans était la condition pour accéder à la spécialité.
Depuis, selon le gré et le désir de partage qui incombe à tout universitaire, d’autres services ont vu le jour, cinq au Maroc, dix en Algérie et sept en Tunisie. En plus de ces services universitaires des unités d’urologie ont été crées dans les services de chirurgie générale des hôpitaux régionaux pour permettre la prise en charge des actes courant de chirurgie et d’endoscopie. Il en existe quinze en Tunisie. Chaque pays dispose désormais de 200 urologues en moyenne.

Nous étions confrontés à une pathologie urologique riche et dense habituellement rencontrée dans les pays européens, mais aussi à des pathologies différentes, liées au stade avancé des affections tumorales, à la relative fréquence des infections de l’appareil urinaire, liées également au kyste hydatique du rein dont nous avons dressé la séméiologie échographique et enfin à la fistule vésico-vaginale d’origine obstétricale devenue aujourd’hui rarissime mais dont la classification et les modalités opératoires ont pu être précisées après l’étude de centaines de cas opérés au cours des décennies 60 et 70.

Très tôt les médecins maghrébins ont eu le souci de travailler ensemble. Les journées médicales maghrébines ont vu le jour à Alger en 1964 grâce à l’initiative de Madame le professeur Aldjia Benallègue et du professeur Saadeddine Zmerli respectivement Présidents des Sociétés de Médecine et de Chirurgie. Elles ont été remplacées dès 1972 par les Congrès médicaux maghrébins tenus annuellement et alternativement dans les trois pays du Maghreb. Un peu plus tard les Congrès maghrébins de spécialités sont venus compléter ces réunions. Le troisième Congrès maghrébin d’urologie vient d’être organisé à Oran le 8 janvier 2009.
En hommage à nos maîtres, qui nous ont témoigné une grande sollicitude et auxquels nous sommes redevables de notre savoir médical et de notre éthique et en reconnaissance de l’engagement de toutes les équipes françaises qui ont fait bénéficier une majorité d’urologues maghrébins de leur savoir faire, nous avons décidé d’organiser des Congrès franco maghrébin d’urologie dont le premier s’est tenu à Tunis en février 2007 et dont le second vient d’avoir lieu à Bruxelles, en mai 2010
Si on considère l’évolution de l’urologie sur le plan scientifique la discipline n’a cessé de contribuer, après la seconde guerre mondiale, à l’épanouissement de toute la chirurgie par ses propres innovations.

Au cours des années 50 et 60 trois innovations, la résection endoscopique de l ’adénome prostatique, l'utilisation du greffon iléal et la transplantation rénale allaient élargir les capacités opératoires de l’urologue et en faire un chirurgien complet maitre de son art et de sa science.

L’endoscopie opératoire avec la résection transuréthrale de l’adénome prostatique allait connaitre une réussite rapide et croissante au point de réduire à l’exception les indications chirurgicales de l’adénectomie par voie haute.

L'utilisation du greffon iléal , matériau de remplacement de la vessie, dont la découverte revient à mon maître Roger Couvelaire fut une véritable révolution. Il en a décrit la technique en 1951 et en a publié les premiers résultats en 1957. Il a ainsi élargi le champ de l’urologie et développé une chirurgie fonctionnelle. Depuis lors une vessie peut être agrandie ou remplacée par un greffon iléal c’est l’entérocystoplastie d’agrandissement ou l’entérocystoplastie de substitution.
Le remplacement iléal de la vessie après cystectomie indication thérapeutique princeps d’une tumeur infiltrante a mis du temps à s’imposer. .
En 1981, visitant le service d’urologie de l’université de New York en qualité de visiting professor j’ai pu découvrir que les Américains ne pratiquaient pas alors ce type d’opération. Avec Camey, nous avons été les rares à l’avoir appliqué dès les années 60.

La transplantation d’organes est certainement la plus belle avancée de la chirurgie moderne. Là aussi l’urologie s’est distinguée en réalisant avec succès les premières greffes d’organes entre jumeaux identiques en 1954. L’échec des greffes entre faux jumeaux fait poser le problème d’incompatibilité biologique..
En 1958, Jean Dausset découvre le système HLA (human leucocyte antigen) le complexe majeur d’histocompatibilité qui allait permettre de vérifier la compatibilité entre donneur et receveur lors d’une greffe d’organe.

L’immunodépression par l’irradiation des receveurs avec les rayons X pour annihiler leurs réactions immunitaires, traitement lourd n’a pas eu les résultats escomptés.
L’avènement des médicaments immunosuppresseur et notamment de la cyclosporine en 1966 allait changer la donne en permettant les transplants cadavériques.
Au Maghreb la greffe rénale a vu le jour en 1986.

Après un début timide la transplantation s’est confirmée progressivement. Aujourd’hui plus d’un millier de greffes ont été réalisées en Tunisie, 700 en Algérie et 350 au Maroc. De même les centres de transplantation se sont multipliés, 3 au Maroc, 5 en Tunisie et 11 en Algérie.

Je souhaiterais évoquer les problèmes éthiques et de société que pose le don d’organes dans notre Maghreb en vous exposant mon expérience personnelle de la greffe rénale.
De 1959 à 1962, en ma qualité de chef de clinique assistant dans le service d’urologie du Professeur Roger Couvelaire, à l’hôpital Necker, j’ai eu la chance, avec J. Waysse et J. Auvert, de participer (1) aux premières greffes rénales entre jumeaux identiques et de vivre les échecs des autres types de greffes.
En réussissant le 4 juin 1986 la première greffe rénale en Tunisie je réalisais enfin un vieux souhait.

A l’époque, le prélèvement d’organes sur le vivant n’avait aucun substrat légal. Or les greffes étaient, pour la plupart, réalisées à partir de donneurs vivants, nous renvoyant à ce vide juridique qui devait soulever de lourds problèmes de responsabilité.

Malgré l’aval des autorités religieuses et administratives du pays, l’engagement du donneur certifié par la mairie, et son information des risques encourus, le transplanteur c'est-à-dire le chirurgien restait malgré toutes ces précautions vulnérable au regard de la loi.
C’est dans ce contexte que 86 greffes rénales ont été effectuées dans le service d’urologie de l’hôpital Charles Nicolle avant que la loi de mars 1991 vienne combler le vide juridique.

Le statut juridique du donneur vivant en assurant la protection légale du donneur et du transplanteur a favorisé, sur le plan pratique, la greffe entre vivants. L’hôpital Charles Nicolle, qui en réalisait annuellement avant la loi une quinzaine, en effectue actuellement une trentaine.
Les effets juridiques sur le prélèvement d’organes à partir d’une personne décédée sont plus mitigés. La moyenne annuelle des greffes à partir de donneurs en état de mort cérébrale stagne longuement avant de connaitre une amélioration récente. L’ambiguïté législative du consentement présumé et les problèmes soulevés par la mort encéphalique se sont traduits au début dans la réalité tunisienne par un manque d’adhésion à cette pratique de prélèvement post-mortem.

Début janvier 2010 on comptait 1002 greffes dont les 3/4 sont des greffes entre vivants. Leur nombre a quadruplé au cours des 3 années de 2005 à 2007, pour être multiplié par 7 en 2008.

1002 greffes rénales

 

Cette augmentation est due l’entrée en lice de quatre nouveaux centres. Ces équipes par leur savoir faire et leur compétence ont su améliorer leur performance ; Elles prouvent également que l’institution hospitalo-universitaire et en particulier les services d’urologie sont l’habitacle naturel de la transplantation rénale et de la formation des futurs transplanteurs. L’étroite collaboration des urologues et des néphrologues a contribué et contribue grandement à la réussite de la transplantation rénale.
Dans les années 80 la chirurgie de la lithiase rénale allait connaitre deux modifications capitales.
En 1982, la néphrolithotomie percutanée consistant après ponction du rein à casser les calculs en utilisant les ultrasons, l’énergie pneumatique ou la fibre laser réduisait les indications de la chirurgie ouverte à moins de 20%.

C’est le règne de la chirurgie mini invasive, un bouleversement des gestes chirurgicaux concernant une pathologie fréquente.
Deux ans plus tard, en 1984, une nouvelle thérapeutique, la lithotripsie extracorporelle vient modifier radicalement la prise en charge de la lithiase rénale. On est donc passé en quelques années de la chirurgie ouverte à la chirurgie mini invasive puis à la chirurgie non invasive. Ainsi le traitement des lithiases a été révolutionné par l’arrivée de la lithotripsie extracorporelle (LEC).

Au Maghreb, ces nouvelles techniques ont commencé à être utilisées à la fin des années 80.
En effet le premier lithotripteur extracorporel a été installé en 1988 en Algérie et, en 1989 en Tunisie, depuis la plupart des grandes villes en ont été dotées, 20 en Algérie, 13 en Tunisie, répartis entre le privé et le public.

Quant à la la néphrolithotomie percutanée, pratiquée pour la première fois en 1993 en Tunisie, son usage s’est rapidement étendu aux 5 services universitaires. Il en est de même pour l’urèteroscopie. Ces techniques sont exécutées à l’hôpital des armées à Alger depuis plusieurs années.

Opérations laparoscopiques à l'hôpital C. Nicolle 2002 à 2009

 

Les années 90 verront le développement de la chirurgie laparoscopique.
Comparé à l‘évolution franche et rapide de la laparoscopie en chirurgie générale après la première cholécystectomie réalisée par cœlioscopie en 1987 le développement en urologie se fera plus lentement contrarié par le caractère aléatoire des techniques opératoires, la durée de l’acte, la difficulté de l’enseigner
Ainsi au début des années 90 les premières interventions cœlioscopiques en urologie se sont limitées à de rares indications comme le traitement des varicocèles, la cure des ectopies testiculaires et les curages ganglionnaires. En fait c’est à partir de 1994, trois ans après la première ablation coelioscopique d'un rein, réalisée par Claymann que le développement de la laparoscopie urologique va démarrer grâce à l'acquisition de l'expérience chirurgicale, grâce aux techniques standardisées et reproductibles, une meilleure vision du champ opératoire qui permet la réalisation d’une vidéo transmissions de bonne qualité.

A la fin des années 90, la prostatectomie radicale devient une indication courante de la cœlioscopie . Et la bataille âpre entre les tenants de la chirurgie ouverte et ceux de la laparoscopie a tourné à l’avantage de ces derniers. Avec un décalage de dix ans, au Maghreb le développement de la laparoscopie connaitra la même évolution.
En Tunisie, localisée d’abord à 2 services d’urologie et à quelques urologues, la cœlioscopie s’est limitée d’abord à des opérations simples pour étendre ses indications à des opérations plus complexes. La formation soutenue de spécialistes, ces dernières années et l’attribution récente de colonnes coelioscopiques aux 5 services d’urologie vont élargir le champ de la cœlioscopie sur le plan géographique et sur le plan des indications et permettre de rattraper quelque peu le retard sur les pays européens.
La laparoscopie allait s’enrichir d’une nouvelle avancée la robotique, dont nous n’avons aucune expérience au Maghreb.

Cette chirurgie assistée par ordinateur permettant de commander à distance des micromanipulateurs doublés d’une vision en 3D procure une meilleure vision du champ opératoire et une plus grande précision des gestes qu’en cœlioscopie non assistée.

Si les avantages de la chirurgie robotisée se manifestent pour la plupart des interventions laparoscopiques en urologie, c’est pour la prostatectomie radicale que son utilisation prédomine.

Il y a peu de chances de la voir se développer actuellement au Maghreb en raison du cout du matériel (1 million d’euros) et des consommables pour chaque patient de l'ordre de 1200 euros. Mais la diminution financière de cette composante matérielle prévisible en fera une thérapeutique de choix en raison de son apprentissage facilitée par la chirurgie virtuelle.

L’urologie, de par ses innovations, a vu son individualité apparaitre rapidement depuis les années 60 et son champ d’activités s’étendre de la lithiase à la cancérologie, en passant par l’andrologie, l’incontinence urinaire, les troubles de la statique pelvienne et la transplantation rénale. L’urologie est devenue une grande spécialité.
En constante progression, l’évolution de l’Urologie nous laisse entrevoir des perspectives nouvelles qu’il nous faudra maitriser non seulement sur le plan scientifique mais également sur le plan éthique.

¹Homotransplantation rénale chez l'homme.
J.Hamburger, J.Waysse, J.Auvert, J.Dormont et S.Zmerli
In Presse Médicale, 1962, 70, p. 671-674.
Film: La transplantation rénale chez l'homme entre jumeaux identiques .
J.Auvert et S.Zmerli
Présenté au 56ème Congrès d'Urologie, Paris, 1962.
Auto-transplantation rénale chez le chien après conservation prolongée à basse température.
Etude histologique et fonctionnelle.
J.Cukier, S.Zmerli, J.Dormont et J.Auvert

In Journal d'Urologie et de Néphrologie, 1964, 70, p. 867-881.